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   une artiste, cent femmes, d'une femme à l'autre, un même tissu rouge

LE CORPS DES FEMMES

Je me revoie en ce printemps de l’année 2001, regardant les reportages qui étaient alors régulièrement diffusés, et qui avaient pour thème l’Afghanistan ; je me revoie profondément remuée devant les images de ces femmes-fantômes.

Ces images symbolisaient la conjonction de plusieurs formes d’oppression : le corps était nié, le droit d’être vue comme le droit de regarder, le droit de s’exprimer… ces grandes formes recouvertes de tissu résonnaient en moi comme un symbole de la négation de l’être dans son esprit et son corps.

Autour de moi, en France, je considérais les images de femmes que l’on nous proposait dans les médias ; femmes montrées la plupart du temps pour leur plastique, comme objets de désir. Corps retouchés, standardisés. Images finalement tout aussi réductrices. A mille lieux de la réalité de la plupart des femmes de ma connaissance…

Je ne me retrouvais dans aucun de ces deux extrêmes.

ÊTRE FEMME?

J’ai ainsi été amené à m’interroger sur moi-même : En tant que femme, quelle place est-ce que je prends ? Dans quelle mesure  est-ce que je porte encore en moi une part d’oppression ?  Comment est-ce que je vis mon corps de femme ? Le regard des autres sur ce corps ? Qu’ai-je envie de montrer de ce corps, et comment ?

En quoi suis-je reliée aux autres femmes ? De quoi ai-je hérité ?

Comment je me tiens debout dans le monde, face à l’autre, avec mon histoire ?  

J’eus alors le désir de  proposer un cadre d’expression à des femmes très différentes,  qui n’ont pas forcément l’habitude qu’on leur propose de s’exprimer.

Des femmes réelles, dans toute la diversité des corps et des histoires de femmes.

 

TISSU

Les choses se sont alors mises en place presque d’elles-mêmes : mon outil de prédilection étant l’appareil photo, ce cadre serait photographique. Il me fallait une proposition commune : le tissu s’est imposé comme une évidence.

Tissu pour sa proximité avec le corps, mais aussi comme symbole du lien, de la transmission.

 

ROUGE

Au fil des jours le caractère de ce tissu s’est dessiné : il serait rouge, pas transparent, ni trop lourd ni trop léger. Il ne devait pas renvoyer à une culture spécifique, mais il devait avoir une « âme » ; il fallait que ce tissu soit fait pour le projet, en connaissance de cause.

La couleur rouge me semblait appropriée : elle a cette ambiguïté de renvoyer aussi bien à la vie qu’à la mort ; c’est le sang qui coule dans nos veines, mais aussi celui qui s’écoule d’une blessure ; c’est le sang de la naissance, mais aussi le sang des menstrues.

Restait à faire réaliser ce tissu. C’est un petit atelier d’Anvers, Betet Skara, qui emploie des méthodes traditionnelles assyriennes de tissage, qui s’en est chargé.

 

100 FEMMES

En décembre 2001, j’étais prête.

Je suis partie à la rencontre de cent femmes.

Cent femmes entre 16 et 99 ans, résidant toutes en France, mais d’origines géographiques et sociales diverses.

Je suis allée vers elle avec toutes mes questions. J’ai réalisé au fil du temps que ces questions ne m’appartenaient pas. Chacune à sa manière se les posait et tentait d’y répondre, de façon plus ou moins consciente.

DES MOTS

Nous avons beaucoup parlé. Parlé de la vie, du quotidien. Des blessures, des victoires. De la difficulté à se construire une vie « sur-mesure ». Du chemin, des kilomètres parcourus. De la nostalgie. Des enfants, des sœurs et des mères. De la solidarité entre femmes. Des hommes.

 

L' ESPACE PHOTOGRAPHIQUE

Après le temps de la parole, il y avait le temps photographique. Je proposais à chacune le même espace, déterminé par deux tissus blancs. Pas de vêtements, pas d’objets. Rien qui renvoie à une appartenance sociale, géographique. Simplement la femme dans cet espace blanc, avec ce tissu rouge.

Dés la première rencontre, j’eus conscience de ce cadeau qui m’était fait : pouvoir accompagner ces femmes, être admise en confiance dans ce moment de rencontre avec elles-mêmes.

Après un temps d’intériorisation, je proposais à la femme de se mettre en mouvement, de laisser peu à peu émerger une forme, créée de la rencontre avec elle-même, avec ce tissu, avec l’espace proposé. Chercher une façon de se positionner debout dans cet espace.

Cela en restant le plus possible en contact avec ses sensations intérieures. Les yeux fermés.

Mon rôle consistait à trouver les mots qui aideraient chacune à être au plus prés d’elle-même et à entrer dans un mouvement créatif.

Quand la femme sentait que quelque chose de juste s’était posé, alors elle ouvrait les yeux et regardait l’objectif.

Pour moi, c’était le signal pour appuyer sur le déclencheur.

 

LE REGARD VERS L'AUTRE ET LE REGARD DE L'AUTRE

Je mesurais très vite la difficulté de ce regard vers l’objectif : après avoir amené la femme à se tourner vers son monde intérieur, je lui demandais de prendre conscience qu’il y avait un autre, et que cet autre la regardait…alors se posaient toutes les questions difficiles sur ce que l’on veut montrer à cet autre, et ce qui transparaît malgré nous. Les femmes ressentaient d’autant plus ce regard du fait de la nouveauté de l’expérience, puisqu’elles n’avaient pas l’habitude d’être photographiées.

 

DES FEMMES DANS LEURS DIFFéRENCES, DES RENCONTRES

Mon parti-pris était de ne pas enjoliver les corps ni les êtres.

A l’image de ce que l’on peut traverser dans une vie, une journée parfois, certaines femmes sont à l’aise, se jouant d’elles-mêmes, détendues, d’autres ont senties leurs limites, leurs difficultés. Certaines sont tristes, d’autres joyeuses.

Certaines investissent l’espace, d’autres sont en retrait.

Certes, sans doute, certaines femmes sont plus charismatiques, certaines poses plus signifiantes.

J'ai choisi de prendre ce qui se présentait, les moments de grâce et de gêne, les beautés et les laideurs, les difficultés et les fluidités. Plutôt que de choisir la meilleure image, tenter de choisir l’image la plus juste.

Bien sur, ce n’est pas simplement la femme qui est montrée dans ces images.

Chaque image est le résultat de ma rencontre avec chaque femme, de la rencontre de nos deux sensibilités. L’histoire étant à chaque fois différente.

 

Je ne savais pas au départ de cette aventure qu’il me faudrait quatre ans pour remonter, de l’une à l’autre, le fil de mes questions.

Pour parcourir le cercle, de Catherine à Sabine,  et revenir au point de départ, à moi-même.

 

Car à travers les rencontres avec toutes ces femmes, il s’agissait bien d’une rencontre avec moi-même et ma propre féminité.

L'exposition "le cercle des femmes" est disponible dans sa version intégrale ou partielle, avec un minimum de 35 portraits. Les tirages sont de format 40 x 60cm, photographies encadrées. La scénographie comprend les photographies, ainsi que des textes, et une mise en espace adaptée à chaque lieu.

Un évènement en résonance avec l'exposition est envisageable, n'hésitez pas à me consulter!

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